Retour au travail d’un collaborateur après un cancer : Le rôle clé de l’entreprise
Reprendre son poste après avoir vécu un cancer n’a rien d’évident. Une personne sur cinq ayant reçu un diagnostic de cancer alors qu’elle était en emploi a perdu ou quitté son emploi cinq ans après sa maladie.
Chaque année, près de 400 000 personnes apprennent qu’elles sont atteintes d’un cancer en France. Parmi elles, beaucoup exercent une activité professionnelle au moment du diagnostic à laquelle la maladie vient mettre un brutal coup d’arrêt.
Une reprise à préparer bien en amont
Après les traitements, la reprise du travail est souvent perçue comme un retour à la « vie normale ». Mais elle s’avère en réalité semée d’obstacles physiques, psychologiques et organisationnels pour les salariés. Reprendre son poste, retrouver sa place dans l’équipe, se sentir légitime dans son travail : tout cela demande du temps, de l’écoute et un accompagnement adapté. Les entreprises peuvent souscrire à un service d’aide au retour à l’emploi, bienvenu pour amorcer cette étape sensible pour le salarié comme pour l’employeur.
Pour Emmanuelle Fourcade, Directrice du service d’aide au retour à la santé et à la vie active chez Workplace Options et proposé par Flex aux entreprises, la clé du succès d’une telle démarche réside dans le fait d’anticiper et de préparer soigneusement le retour du salarié au travail.
Après les traitements, le corps et l’esprit sont souvent épuisés. Emmanuelle insiste sur l’importance d’un accompagnement global pour soutenir et développer la capacité de chacun.e de rebondir après un épisode de vie difficile. « Une nouvelle page s’ouvre, modifiée par l’expérience de la maladie » et le processus de rétablissement se poursuit bien au-delà. C’est pourquoi, il est important « d’outiller la personne pour qu’elle parvienne à prendre soin d’elle : évacuer les angoisses, choyer le corps potentiellement meurtri, retrouver l’énergie, ré-investir les contacts sociaux et surtout reprendre confiance en soi. Cette qualité de récupération est un préalable indispensable à la qualité de la reprise ».
Absence d’accompagnement de l’employeur : la double peine après un cancer
43 % des personnes ayant surmonté un cancer citent la réinsertion professionnelle comme leur principale difficulté. Les causes sont multiples : séquelles physiques, perte de confiance, incompréhension du management, absence d’aménagement de poste voire effacement du rôle du salarié dans l’entreprise.
Christian, informaticien de 48 ans, peut en témoigner. Traité pour un cancer il y a quelques années, sa reprise du travail est loin de s’être déroulée comme il l’espérait : « Je n’appréhendais pas particulièrement de retravailler, au contraire, j’avais même hâte. Mais le jour de mon retour, j’ai appris que j’avais été remplacé pendant mon arrêt, et que cette personne conservait la majorité de mes missions. On avait interdit à mes collègues de me dire ce qu’il se passait dans l’entreprise alors plus personne ne m’adressait la parole ».
Ne pas préparer le retour au travail du salarié, c’est donc exposer une personne déjà affaiblie à une organisation qui peut la fragiliser davantage. Le salarié n’est pas le seul à devoir se sentir prêt à retourner au travail. L’entreprise doit elle aussi se préparer et mettre tous les outils en place pour le réintégrer pleinement à son poste pour éviter des dégâts aussi bien organisationnels qu’humains. « Il ne s’agit plus de réintégrer le salarié absent dans un poste inchangé, mais de repenser la situation de travail comme un levier actif de reconstruction, de coopération et de performance » précise Emmanuelle Fourcade.
Écarté de son périmètre habituel, relégué à une forme de chômage technique, Christian a fini par saisir le médecin du travail. « Psychologiquement, ça a été très difficile. Je me suis senti inutile, poussé vers la sortie. C’est une période de ma vie où j’ai complètement perdu confiance en mes capacités alors même que je n’avais besoin que de deux choses : me sentir comme tout le monde et appartenir à une équipe ». Un besoin de dignité et de reconnaissance que les organisations doivent entendre pour permettre à chacune et chacun de retrouver sa place au travail après la maladie.
Le rôle clé de l’entreprise et des managers
L’idéal est de mettre en place des actions dès l’arrêt de travail du salarié. « En l’absence de la personne concernée, il faut veiller à soutenir et écouter les besoins des collègues qui vont prendre le relai, repenser l’organisation du travail et réévaluer les charges afin d’éviter les frustrations. C’est le plus sûr moyen d’anticiper la réintégration et de prévenir les craintes de part et d’autre », explique Emmanuelle Fourcade.
A la suite des traitements, pendant la phase de convalescence, l’équipe d’Emmanuelle contacte la personne pour lui présenter et proposer, si elle est d’accord, le programme d’accompagnement sans jamais forcer la reprise. « Certaines personnes souhaitent retrouver leur poste, pour d’autres l’épreuve de la maladie les amène à repenser leurs choix professionnels et souhaitent changer de métier. Notre mission, c’est d’aider le salarié à travailler son assertivité pour devenir acteur de son retour à l’activité ; et de faire le lien avec l’employeur pour permettre une reprise en douceur. »
Lors de la reprise, plusieurs leviers sont à actionner : adaptation du poste, réduction temporaire de la charge de travail, flexibilité horaire ou télétravail lorsque c’est possible. Ces ajustements ne relèvent pas du confort, mais d’une nécessité reconnue : les personnes bénéficiant d’un aménagement ou d’un temps partiel thérapeutique ont près de 85 % de chances de rester en emploi cinq ans après leur diagnostic, contre environ 68 % pour celles qui n’en ont pas bénéficié.
Au sein de cette démarche, former les managers au retour d’un collègue suite à un arrêt long est l’un des jalons déterminant d’une politique RH attentive à la question du cancer. Ecouter, faire preuve d’empathie, retisser le lien avec les équipes, respecter les limites de la personne, redessiner le périmètre de son poste et donner une direction claire à ses missions font partie des leviers nécessaires pour permettre au salarié de se sentir attendu et considéré.
Vers un retour à la vie, pas seulement à l’emploi
On l’aura compris, reprendre le travail après un cancer, ça ne veut pas dire retourner à la vie d’avant. Cela signifie qu’on construit un nouvel équilibre entre santé, engagement professionnel et bien-être. « Le retour au travail, c’est aussi le retour à la vie sociale. Lorsqu’il est bien accompagné, il est un pilier de guérison », précise Emmanuelle Fourcade.
Le cas de Christian vient rappeler l’importance d’une culture d’entreprise inclusive et à l’écoute des réalités de ses collaborateurs, qui ne laisse personne au bord du chemin. Prendre en compte cet enjeu de santé majeur dans la politique RH de son entreprise et se doter de dispositifs solides d’aide au retour à l’emploi, c’est désormais incontournable pour adapter son organisation aux défis liés à la santé des individus.
Après les traitements, le corps et l’esprit sont souvent épuisés. Emmanuelle insiste sur l’importance d’utiliser l’espace intermédiaire entre la sortie de la phase aigüe des soins et la reprise, pour accompagner, soutenir et développer la capacité de résilience.
1Etude VICAN 5 de l’Institut national du cancer
2Chiffres Institut National du cancer
3Sondage Institut Curie
4Etude VICAN 5 de l’Institut national du cancer